Awen était en larmes. En larmes au chevet de sa mère qui venait de rendre son dernier soupir. Dans ce lit blanc, reposait celle qui venait de bouleverser sa vie en quelques instants.
La jeune fille releva la tête et inspira un grand coup.
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Tout avait commencé aux États-Unis, à New York plus précisément, où Mathilde Aspin - jeune scientifique française - était établie. Officiellement, elle travaillait dans une entreprise tout ce qu'il y avait de plus normal. Officieusement, elle était une scientifique d'un petit laboratoire clandestin.
Les recherches de ce laboratoire portant sur les mutants, elle ne comptait plus les fois où elle avait dû disséquer des personnes ayant ces gènes spéciaux, précédemment enlevées à leur famille. Mais cette fois, lorsqu'elle eut pour mission d'ouvrir un bébé, enfant d'un mutant, dans le but de voir si on pouvait percevoir la mutation dès la naissance, ce fut trop pour elle. Surtout quand elle apprit que la mère avait été enlevée puis tuée à la naissance de sa fille. Elle supplia ses supérieurs de la laisser partir avec l'enfant, puis les menaça de les dénoncer aux autorités. Mathilde travaillant pour eux depuis des années et leur ayant été fidèle durant tout ce temps, ses supérieurs décidèrent de ne pas la faire taire définitivement et lui laissèrent l'enfant en guise de remerciement pour ses années de soutien - ainsi que pour acheter son silence. Elle partit donc pour la France avec le bébé, ne voulant pas rester aux États-Unis au cas où ils changeraient d'avis.
Installée dans un village à l'ouest de la France avec la petite fille, la scientifique fit des recherches pour savoir qui était la mère et rassembla toutes ces données dans une clef USB. Très bien, lorsque le moment serait venu, Mathilde la donnerait à Awen. Mais pour l'heure, elle devait grandir dans ce petit village français, loin de tout danger.
L’enfant se développa tranquillement tandis que sa mère adoptive s'était reconvertie en boulangère.
Mais à six ans, les problèmes commencèrent. Mathilde découvrit que sa fille n'avait pas d'amis car elle préférait s'amuser à dessiner dans son coin plutôt que de courir comme les autres. Elle tenta de lui parler, mais se heurta au mur de réflexion d’Awen.
Pourquoi les autres couraient-ils ? Cela ne servait à rien après tout… Dessiner était une activité créative bien plus intéressante ! Mathilde lui fit néanmoins promettre d’essayer de se joindre à leurs jeux et Awen comprit qu’elle devrait désormais mentir pour ne pas inquiéter sa mère. Elle inventa ainsi des faux amis dont elle conta les aventures palpitantes à sa mère, de ce fait rassurée. Mathilde ne sut jamais que sa fille se faisait harceler.
L'année suivante, Awen se découvrit une passion pour la mécanique et sa chambre devint un véritable garage : elle récupérait tout ce qui lui passait sous la main, que ce fussent des morceaux de métal, des bouts de bois, des clous, des vis... Pour ses huit ans, elle demanda même une boîte à outils ! Quand Mathilde vit que le temps libre de sa fille était seulement composé d’occupations solitaires tels la lecture, la construction, le dessin et les études, elle lui imposa une activité extrascolaire, malgré son mince budget. Elle craignait qu’Awen ne devienne asociale. La petite fille choisit alors de faire de l'escrime.
Ses véritables amis, elle les rencontra pour la première fois au club d'escrime. Tous liés par la même passion, ils décidèrent de continuer l'escrime jusqu'au bout. Leur trio était formé de François, Artie et Awen.
Mais à l'école, elle n'avait pas d'amis : c'était sûrement dû au fait qu'elle avait sauté trois fois de classe pour se retrouver en quatrième à dix ans. Là, elle comprit qu'elle n'était pas dans la norme. À partir de ce moment, elle s'efforça de ne pas paraître trop excellente et diminua ses notes en laissant volontairement traîner des fautes dans tous ses contrôles. Mais elle eut tout de même son BAC à quinze ans et enchaîna avec l'université.
À ce même âge, Awen vit toute son existence bouleversée. A quinze ans, son ami François et elle se firent agresser par une bande en revenant d’un cours d’escrime. A quinze ans, elle eut la peur de sa vie et vit son ami mourir sous les coups de pieds des voyous. A quinze ans, sa première mutation se déclencha et lui sauva la vie. Awen se transforma en fumée et fila le plus vite possible…
…durant une trentaine de secondes. Mais c’était déjà trop.
Lorsqu’elle se présenta au poste de police le plus proche, les agents de sécurité virent arriver une jeune fille contusionnée de la tête aux pieds. Avec des cheveux courts. Ce qu’ils ne surent jamais, c’était que quelques minutes auparavant, Awen avait une chevelure qui atteignait le milieu de son dos…
Cet incident bouleversa la jeune fille qui, s’étant enfin trouvé un ami avec qui elle s’entendait à merveille, se le voyait arraché. Elle était à nouveau seule. Bien sûr, Artie était toujours là, lui. Mais ce ne fut plus jamais pareil. Awen savait que lorsqu’il la regardait, il pensait à François. Alors ils s’éloignèrent. Chacun d’eux savait pertinemment que continuer à côtoyer l’autre serait trop douloureux.
Artie arrêta alors l’escrime tandis qu’Awen continua. Mais cette dernière n’était plus tellement concentrée sur le sport depuis la découverte de sa mutation. Elle n’en parla pas à sa mère, de crainte de sa réaction. En revanche, elle commença à étudier avec application ce curieux phénomène. Mais elle comprit rapidement qu’il était dangereux. Si elle se métamorphosait trop longtemps, la fumée se dispersait et elle ne récupérait pas les parties de son corps trop loin d’elle. En plus de l’expérience de ses cheveux, vinrent s’ajouter le témoignage douloureux d’un lambeau de peau dans le dos, ainsi que la souffrance d’un ongle en moins. Awen décida alors de reprendre son projet abandonné d’IA nommée Jean-Norbert, ayant une toute autre sorte de projet derrière la tête.
Le travail dura quelques mois. La tâche n’était pas aisée étant donné qu’il fallait palier le problème de fonctionnement durant la métamorphose. Mais finalement, grâce à l’idée d’utiliser des nanoparticules, Awen réussit. Elle avait désormais une ceinture pouvant lui signaler son temps de transformation et le pourcentage de dispersion de son corps.
La jeune mutante continua alors à utiliser son pouvoir. Elle ne faisait rien de spécial, elle aimait simplement les sensations procurées par sa transformations. Le frisson du danger puis le frémissement de tout son corps avant de partir en fumée… Que d’exaltation ! Mais connaissant les préjugés et ne voulant pas trop s’attirer d’ennuis, Awen décida de porter un masque lors de ses transformations. Ainsi naquit Dark Sword.
Dark Sword était juste un pseudo innocent. Awen ne voulait nullement l’utiliser pour se battre. Malheureusement, lorsque des hommes en noir à l’attitude agressive apparurent et tentèrent de la capturer, Awen n’eut plus le choix : elle devait se défendre. Bien sûr, elle aurait également pu se cacher et cesser d’utiliser son pouvoir, mais la jeune fille avait du mal à accepter la soumission. Le sabre puis le jet-pack vinrent alors naturellement dans sa tentative de protection.
Awen se protégea très bien. Mais sa mère, pas assez. Lors d’une énième tentative pour la capturer, l’organisation des hommes en noir lança une bombe qui explosa à côté d’un supermarché. Et Mathilde Aspin fut grièvement blessée. Elle fut emmenée à l’hôpital mais son état était trop avancé… Alors elle révéla à Awen qu’elle n’était pas sa mère biologique et lui donna la clef.
Puis elle expira.
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Awen serra avec force la clef USB au creux de son poing. Peu lui importaient ses origines ! Peu lui importaient toutes ces histoires ! Elle avait perdu sa mère. Et c’était de sa faute. Elle devait désormais s’en aller. Très loin. Elle ne pouvait plus rester ici après tout ce qu’elle avait engendré.
Pourquoi pas New-York ? Après tout, on l’appelait parfois la ville de la seconde chance…